Par un arrêt du 8 octobre 2025, la Cour de cassation met un terme au débat relatif à l’octroi de titres-restaurant aux salariés en télétravail (Cass. soc., 8 octobre 2025, n° 24-12.373, publié au Bulletin).
Dans cette affaire, un salarié en télétravail avait été privé de titres-restaurant durant une période (16 mars 2020 au 30 mars 2022) au cours de laquelle il en aurait bénéficié s’il avait travaillé sur site. L’employeur soutenait que les salariés placés en télétravail se trouvaient dans une situation différente de celle des salariés exerçant leurs fonctions dans les locaux de l’entreprise, justifiant ainsi, selon lui, l’exclusion du bénéfice des titres-restaurant.
La Cour de cassation censure ce raisonnement et pose un principe clair : « L’employeur ne peut refuser l’octroi de titres-restaurant à des salariés au seul motif qu’ils exercent leur activité en télétravail. ». Elle clôt ainsi un débat qui avait émergé en particulier au moment du confinement.
1 – Fin du débat
L’attribution aux salariés de titres-restaurant n’est pas obligatoire mais elle permet à l’employeur de prendre partiellement en charge leurs repas « habituels », dans un cadre fiscal et social avantageux.
Un salarié ne peut recevoir qu’un titre-restaurant par repas compris dans son horaire de travail journalier (c. trav. art. R. 3262-7).
Pour la Cour de cassation, il en résulte que la seule condition à l’obtention du titre-restaurant est que le repas du salarié soit compris dans son horaire journalier (Cass. soc., 20 février 2013, n° 10-30028, BC V n° 54 ; Cass. soc., 13 avril 2023, n° 21-11322 FSB).
Aucune référence au lieu du travail n’est ici faite et aucune condition liée à la nécessité d’un « travail sur site » n’est exigée, ni par le code du travail, ni par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Les contentieux sont apparus lors de la crise sanitaire et des divergences de solution entre tribunaux de première instance.
Lors de la pandémie de covid-19 de 2020-2021, les mesures de confinement avaient conduit de nombreuses entreprises à placer des salariés en télétravail. La question du traitement des télétravailleurs au regard de l’octroi des titres-restaurants s’était alors posée.
Depuis la crise sanitaire, les juridictions du fond étaient divisées : certaines Cours d’appel appliquaient le principe d’égalité de traitement, tandis que d’autres s’y opposaient faute de frais de restauration supplémentaires.
L’arrêt du 8 octobre 2025, publié au Bulletin, met un terme définitif à cette incertitude.
Pour l’administration, le télétravailleur a droit aux titres-restaurant.
Lors de la pandémie, le ministère du Travail avait publié plusieurs questions-réponses dont la version finale indiquait que les télétravailleurs devaient bénéficier des titres-restaurant, « si les autres salariés exerçant leur activité dans l’entreprise à condition de travail équivalentes en bénéficient également », se fondant sur le principe d’égalité de traitement entre télétravailleur et travailleur sur site (c. trav. art. L. 1222-9 ; « Télétravail en période de COVID-19 », ministère du Travail, mars 2021).
Le BOSS, dans sa version initiale de mars 2021 (opposable à partir du 1er avril 2021) indiquait que « lorsque les travailleurs bénéficient des titres-restaurant, il peut en être de même pour les télétravailleurs ». Désormais, le principe est plus clairement établi et le BOSS indique que « les salariés en situation de télétravail doivent bénéficier de titres-restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à celles des autres salariés de leur entreprise travaillant sur site et ne disposant pas d’un restaurant d’entreprise. Ainsi, si les salariés de l’entreprise bénéficient des titres-restaurant, il en est de même pour les télétravailleurs à domicile, nomades ou en bureau satellite » (BOSS, avantages en nature, § 170, 01/02/2025).
A noter également que l’URSSAF, sur son site, préconise que les « salariés télétravailleurs puissent bénéficier des titres-restaurant. Les conditions de travail du télétravailleur doivent être identiques à celles des salariés travaillant dans les locaux de l’entreprise. Un salarié en télétravail qui réalise une journée avec une pause méridienne réservée à la prise d’un repas a droit à l’attribution d’un titre-restaurant ». Rappelons toutefois que les positions de l’URSSAF, contrairement au BOSS, ne sont pas opposables.
2 – La Cour de cassation clôt le débat en rappelant le principe d’égalité de traitement
En combinant les articles L. 1222-9, L. 3262-1 et R. 3262-7 du Code du travail, la Cour rappelle que le télétravailleur bénéficie des mêmes droits que le salarié présent dans les locaux de l’entreprise.
La seule condition d’attribution d’un titre-restaurant est que le repas soit compris dans l’horaire journalier, indépendamment du lieu d’exécution du travail.
De la combinaison de ces règles, la Cour de cassation en déduit le principe suivant : l’employeur ne peut refuser l’octroi de titres-restaurant à des salariés au seul motif qu’ils exercent leur activité en télétravail.
Ainsi, il est désormais clairement établi qu’un salarié en télétravail a droit aux titres-restaurant dès lors que les salariés sur site en bénéficient, et dès lors que ses horaires de travail incluent la pause déjeuner.
3 – Quelles conséquences pratiques pour les employeurs
La Cour de cassation, dans son second arrêt du 8 octobre 2025 (n°24-10.566) laisse entendre qu’il est possible pour l’employeur d’exclure des salariés du bénéfice des titres-restaurant mais à certaines conditions : « En application du principe d’égalité de traitement, si des mesures peuvent être réservées à certains salariés, c’est à la condition que tous ceux placés dans une situation identique, au regard de l’avantage en cause, aient la possibilité d’en bénéficier, à moins que la différence de traitement soit justifiée par des raisons objectives et pertinentes et que les règles déterminant les conditions d’éligibilité à la mesure soient préalablement définies et contrôlables » .
En l’espèce, l’attribution des titres-restaurant avait été instaurée par voie d’usage, aux salariés qui n’avaient pas accès, par leur éloignement géographique ou le caractère itinérant de leurs fonctions, au restaurant d’entreprise.
La Cour de cassation a considéré qu’il s’agit d’un avantage qui ne peut, en l’absence de dénonciation conforme de l’usage, être suspendu lors du placement des salariés en télétravail (et maintenu pour les autres).
Cette solution laisse ouverte la possibilité d’exclure des télétravailleurs du bénéfice de titres-restaurant mais à la condition de justifier de manière objective qu’ils sont dans une situation qui n’est pas identique à celle des salariés sur site au regard de cet avantage.
Les entreprises sont invitées à vérifier la conformité de leurs accords, chartes ou usages internes à ce principe d’égalité.
Elles doivent également anticiper d’éventuelles demandes rétroactives de salariés n’ayant pas perçu cet avantage.
Cass. soc., 8 oct. 2025, n°24-12.373 – Cass. soc., 8 oct. 2025, n°24-10. 566