La gestion RH des salariés étrangers

Conférence du 3 mars 2025

 

Par les étudiants du Master 2 Droit du travail :

Cyril Cocquempot, Emma Correia, Chloë Dhellin, Laura Ducornet, Mathilde Leviel, Célia Megy, Margot Savaton et Simon Werquin.

 

En France, selon un recensement de la DARES, les salariés étrangers représentaient en 2017 38,8 % des employés de maison, 27 % des ouvriers non qualifiés du BTP, ou encore 19,3% des ouvriers qualifiés des travaux publics. Dans ces secteurs d’activité notamment, la connaissance du régime juridique encadrant l’embauche des salariés étrangers est essentielle à la gestion des ressources humaines. Il convient pour une entreprise d’avoir ce formalisme en tête pour exercer son activité en toute légalité.

 

 

Les salariés étrangers sont les salariés qui, compte tenu de leur nationalité, sont soumis à des conditions restrictives d’accès à l’emploi salarié, commençant par la détention d’un titre de séjour et de travail. Sont exclus de cette définition les salariés ressortissants des pays de l’Union européenne, ainsi que les ressortissants de la Norvège, de l’Islande, du Liechtenstein, de la Suisse et des principautés d’Andorre, de Monaco, de Saint-Marin et du Vatican.

 

 

Dès lors, pour conclure un contrat de travail avec un ressortissant étranger d’un pays autre que ceux précités, les obligations et formalités sont nombreuses et certains délais sont à prendre en compte par l’entreprise et le futur salarié. Les erreurs dans ce processus sont coûteuses pour l’entreprise qui risque un contentieux pour travail illégal en cas d’impatience ou de négligence de sa part. Pour autant, recruter des salariés étrangers est un moyen de pallier la pénurie de main-d’œuvre et d’attirer certains talents favorables à l’extension de l’activité et de l’économie. Quelles sont les questions les plus fréquentes auxquelles un service de ressources humaines doit savoir répondre afin que le risque du travail illégal ne soit pas un frein à l’embauche ?

 

 

I. Les conditions d’embauche des salariés étrangers

 

A) La vérification des titres de séjour et les formalités administratives incombant à l’employeur 

 

Le Code du travail pose une interdiction formelle : “Nul ne peut, directement ou par personne interposée, embaucher, conserver à son service ou employer pour quelque durée que ce soit un étranger non muni du titre l’autorisant à exercer une activité salariée en France”. Cette interdiction vise également les donneurs d’ordre ou sous-traitants qui seraient amenés à travailler avec l’employeur pour exécuter une prestation ou pour toute autre relation contractuelle.

 

Il incombe ainsi à l’employeur de vérifier que la personne qu’il souhaite embaucher est titulaire d’un titre de séjour et que ce titre permette le travail. Une autorisation de travail devra être demandée par l’employeur si le titre présenté lors de l’embauche est un titre professionnel (Titre salarié et travailleur temporaire), sur le site du Ministère de l’intérieur.

 

Pour les autres titres de séjour, il ne sera pas nécessaire d’effectuer une demande d’autorisation de travail notamment, les cartes de résident ou certificat de résident pour les ressortissants algériens ou encore les titres “vie privée et familiale”.

 

L’employeur doit faire vérifier le titre de séjour du salarié, par une déclaration nominative auprès du préfet du département dans lequel l’établissement employeur a son siège, au moins 2 jours ouvrables avant la date d’effet de l’embauche. En l’absence de réponse du préfet 48 heures après la demande, l’obligation de vérification de l’employeur est considérée comme remplie.

 

Pour un premier titre professionnel, un salarié étranger sollicitant une autorisation de travail se voit opposer la situation de l’emploi sauf situation particulière. L’administration peut lui refuser l’autorisation de travailler si elle estime que le niveau de chômage est trop important ou qu’un demandeur d’emploi en France répond aux exigences de l’emploi. Dans ce cas, l’employeur doit pouvoir justifier avoir publié une offre d’emploi pendant au moins trois semaines sur France Travail et/ou sur l’Association pour l’emploi des cadres (APEC). Si à l’échéance de ces trois semaines l’offre d’emploi n’a pu être satisfaite par aucune candidature, l’employeur devra déposer une demande dématérialisée sur le site de l’ANEF afin d’obtenir l’autorisation de recruter son futur salarié. En cas de réponse favorable, l’employeur est autorisé à embaucher le salarié, qui devra de son côté obtenir un titre de séjour. En cas de réponse négative, des voies de recours administratif ou judiciaire existent.

 

Après ces démarches spéciales liées au statut du salarié, l’employeur doit accomplir la déclaration préalable à l’embauche (DPAE), étant une formalité obligatoire pour chaque salarié permettant de lutter contre le travail dissimulé. L’employeur doit également inscrire ce salarié sur le registre unique du personnel.

 

Pour finir, l’employeur doit s’acquitter d’une taxe auprès de la direction générale des finances publiques dès lors qu’il est à l’origine de la délivrance d’un premier titre professionnel « salarié » ou « travailleur temporaire ».

 

B) L’interdiction de recourir au travail dissimulé

 

La vérification du titre est un préalable nécessaire afin d’éviter tout travail dissimulé ou emploi irrégulier d’un salarié étranger. Le travail dissimulé est en effet constitutif d’un délit, exposant l’employeur à différents risques.

 

  • Le risque pénal : un emprisonnement de cinq ans et une amende de 30 000 euros (amende qui sera appliquée autant de fois qu’il y a d’étrangers concernés). Les personnes morales auront également une amende, mais peuvent aussi subir leur dissolution, avoir une interdiction d’exercer directement ou indirectement une ou plusieurs activités, leur placement sous surveillance judiciaire… Le fait d’engager un salarié étranger pour un autre emploi que celui qui est mentionné sur son titre de travail et/ou dans une autre zone géographique est également puni d’une amende de 1 500 euros.

 

  • Le risque civil : le salarié étranger a droit, au titre de la période d’emploi illicite, au paiement du salaire et des accessoires de celle-ci.

 

  • Le risque administratif : une amende administrative, prononcée par le ministre chargé de l’immigration, autrement dit, le ministre de l’Intérieur au vu des procès-verbaux qui lui seront transmis.

 

C) Le risque de discrimination à l’égard du salarié étranger lors de l’embauche

 

Bien que légalement prohibée, les salariés de nationalité étrangère sont davantage exposés au risque de discrimination au moment de l’embauche.

 

En ce sens, une difficulté peut survenir pour l’employeur : comment savoir si des démarches administratives particulières devront être entreprises sans connaître la nationalité du candidat ?

 

En ce sens, la CNIL a répondu en autorisant l’employeur, sans tomber dans le domaine de la discrimination, à demander au candidat s’il est ressortissant de l’Union Européenne ou non, sans pour autant connaître de sa nationalité. Toutefois, le salarié pourra de lui-même la préciser s’il le souhaite.

 

 

II. L’existence de mesures spécifiques durant l’exécution du contrat de travail du salarié étranger

 

A) Les mesures d’intégration du salarié étranger

 

L’un des enjeux majeurs tient en l’intégration professionnelle et sociale du salarié.

Avant toute chose, la maîtrise de la langue française est indissociable d’une intégration réussie. En ce sens et depuis le 1er janvier 2025, les employeurs ont la possibilité d’intégrer des formations en langue française dans leur plan de développement de compétences. Considérée comme du temps de travail effectif, la formation sera rémunérée comme telle dans la limite de 80 heures. Bien que non obligatoires, ces démarches sont précieuses pour le bien-être des salariés étrangers.

 

En dehors du temps de travail, le salarié étranger doit faire face à de nombreuses démarches administratives, souvent complexes et chronophages (ouverture compte bancaire, recherches logement, affiliation à la sécurité sociale …). Pour éviter la surcharge émotionnelle des salariés, les ressources humaines peuvent se mobiliser pour les accompagner. Il en est de même pour la familiarisation avec le système de travail français, la sensibilisation aux différences culturelles.

 

Une intégration réussie se traduit par un dialogue interculturel, du mentorat interne, le partage d’expérience, la disponibilité de l’équipe encadrante. S’ajoute également le rôle primordial d’une culture d’entreprise inclusive, source d’enrichissement de compétences, stimulation des innovations, renforcement de l’attractivité de l’entreprise. Cela est rendu possible par la formation et la sensibilisation des équipes sur le sujet.

 

L’erreur serait de penser que l’intégration se fait toujours naturellement avec le temps. Négliger l’accompagnement, sous-estimer l’impact des différences culturelles ou laisser un salarié gérer seul ses difficultés, c’est prendre le risque de générer des frustrations et d’affaiblir la cohésion au sein des équipes. L’anticipation et le suivi régulier sont donc des piliers indispensables de toute politique RH tournée vers l’international.

 

L’intégration des salariés étrangers est donc bien plus qu’un simple enjeu administratif. C’est une démarche stratégique qui, si elle est bien menée, profite à l’ensemble de l’organisation. L’entreprise a pour rôle de créer un environnement de travail où chaque talent, quelle que soit son origine, peut s’épanouir et contribuer pleinement à la réussite collective.

 

B) L’accompagnement du salarié pour le renouvellement et le suivi de son titre

 

1. Anticiper l’échéance du titre de séjour

 

Le salarié, comme l’employeur, ont tout intérêt à anticiper l’échéance du terme du titre. Le renouvellement d’un titre de séjour doit être sollicité par le salarié au minimum dans les deux mois précédant son expiration, auprès de la préfecture ou sous-préfecture.

Le rôle de l’employeur consistera, dans un premier temps, à vérifier la date d’expiration du titre en cours, ce dernier ayant une durée limitée.

 

Dans un second temps, dans un souci de continuité de l’activité économique, il convient d’informer le salarié sur tous les délais et démarches auxquels il doit se conformer pour renouveler son titre dans les temps.

 

Enfin, dans un dernier temps, pour constituer le renouvellement, il est obligatoire de rassembler des documents administratifs. Ceux-ci sont nombreux et une aide notamment organisationnelle peut être bénéfique.

 

 

2. Les cas de possibilité du renouvellement du titre salarié

 

Première hypothèse, si le salarié continue de travailler pour le même employeur, il peut solliciter un titre pluriannuel au moment du renouvellement du titre de séjour. Ce titre peut avoir une durée allant jusqu’à 4 ans. Il convient de délivrer à la Préfecture la preuve que le salarié a travaillé les 12 derniers mois pour cet employeur et la copie de l’autorisation de travail initiale remise à l’employeur au moment du premier titre de séjour.

 

Deuxième hypothèse, l’emploi est perdu et le salarié n’a pas retrouvé d’emploi au moment du renouvellement du titre. Si le salarié a perdu son emploi de manière involontaire, il a le droit à une prolongation du titre de séjour pour une année minimum. Il faut donner à la Préfecture les documents de fin de contrat, ainsi que le relevé de situation individuelle établie par France Travail.

 

 

3. Les moyens pratiques d’accompagnement de l’employeur

 

La consultation du registre du personnel, souvent dématérialisé, permet de suivre les dates de fin de validité des titres de séjour des salariés étrangers. Par le truchement de ce registre, un système d’alerte peut être utile. Il joue la mission de rappeler l’échéance afin d’éviter l’oubli de renouvellement.

 

Également, la nomination d’un référent RH dédié aux suivis des démarches et aux questionnements des salariés est envisageable. Celui-ci préparera à l’avance les documents dont le salarié aura besoin pour maximiser l’efficacité de la demande de renouvellement.

 

Une sensibilisation des salariés étrangers peut être judicieuse afin de les éclairer sur les délais et démarches à effectuer. Il est possible d’organiser une réunion d’information pour rappeler les obligations, envoyer un guide interne avec les étapes et documents requis et proposer un accompagnement RH en cas de difficulté.

 

Concernant la démarche au niveau de la préfecture, il est essentiel de vérifier les délais de traitement dans la préfecture concernée. Il y a beaucoup de demandes, ce qui peut parfois rendre l’instruction plus longue. Il convient d’anticiper les éventuelles prises de rendez-vous et aider le salarié en cas de retard.

 

III. Les conséquences d’une perte temporaire ou définitive du titre de séjour

 

Le licenciement d’un salarié étranger dont le titre de séjour n’est plus valable est encadré par des règles spécifiques, qui visent à concilier l’obligation pour l’employeur de respecter la législation sur le travail des étrangers et les droits du salarié.

 

L’employeur doit s’assurer que le salarié n’a pas entrepris de démarches visant au renouvellement de son titre de séjour ou que ces démarches ont échoué.

 

En principe, la date d’expiration du titre est celle inscrite sur ce dernier. Toutefois, lorsqu’un salarié étranger est notamment titulaire d’une carte de séjour pluriannuelle d’une durée de quatre ans ou d’une carte de résident, il peut justifier de la régularité de son séjour entre la date d’expiration de ce document et la décision prise par l’autorité administrative sur sa demande par la présentation de la carte ou du titre expiré, dans la limite de trois mois à compter de cette date d’expiration. La date d’expiration d’un titre peut donc être rallongée dans ce cas.

 

A) Le licenciement objectif comme conséquence de la perte du titre

 

L’employeur doit rompre le contrat de travail d’un salarié étranger dont le titre de séjour n’est plus valable. Le non-renouvellement du titre de séjour constitue une cause objective de rupture du contrat de travail. Cette situation n’est pas assimilée à une faute du salarié, mais elle justifie la rupture en raison de l’impossibilité pour l’employeur de maintenir légalement le salarié dans l’emploi. Dans ce cas, l’employeur n’a pas à suivre la procédure classique du licenciement mais doit remettre une lettre de rupture.

 

En effet, l’absence de titre de séjour ne constitue pas une faute grave, sauf en cas de dissimulation ou falsification. L’employeur peut donc invoquer l’irrégularité de la situation du salarié pour rompre le contrat, ce qui l’exonère des formalités du licenciement tout en l’obligeant à verser une indemnité. S’il invoque une faute, il devra respecter la procédure disciplinaire.

 

Le salarié peut prétendre à une indemnité forfaitaire de trois mois de salaire si celle-ci est plus avantageuse que les sommes dues au titre de la rupture du contrat.

 

L’employeur doit néanmoins faire preuve de vigilance. Le salarié pourrait contester son licenciement si l’employeur n’a pas pris les mesures nécessaires pour faciliter le renouvellement de son autorisation de travail ou plus généralement si le non-renouvellement peut lui être imputable.

 

 

B) L’option de la suspension du contrat de travail du salarié

 

 

Dans la pratique et bien qu’elle ne soit pas prévue légalement, les entreprises suspendent le contrat de travail du collaborateur à compter du lendemain de la date d’expiration de son titre de séjour initial si un délai supplémentaire de trois mois, exposé précédemment, n’est pas accordé.

 

Si les démarches de renouvellement du titre de séjour n’ont pas été entamées dans les délais prévus, selon la situation, certains employeurs suspendent également le contrat de travail à l’expiration du titre dans l’attente du renouvellement du titre de séjour.

 

Dans ce cas, le salarié doit être informé, par l’intermédiaire d’une lettre de suspension du contrat, que l’entreprise attend la mise à jour de son titre de séjour dans les meilleurs délais.

 

Si le collaborateur régularise sa situation en communiquant un récépissé comportant la mention “autorise son titulaire à travailler” ou le renouvellement de son titre de séjour, il convient de mettre fin à la suspension de son contrat de travail et de l’informer de sa réintégration à son poste de travail. À l’inverse, si le collaborateur ne régularise pas sa situation en ne communiquant pas de récépissé ni de renouvellement de son titre de séjour, la procédure de licenciement devra être engagée.

 

Une réunion d’information « Le 8.40 » sera consacrée le 18 septembre prochain, à « l’embauche des salariés étrangers : les nouvelles obligations pour l’employeur »

 

A noter également notre formation du 19/06 sur « le travail des étudiants étrangers en France : pendant et après leurs études »

 

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